Loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration et Cons. Const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC
1. PRINCIPES DIRECTEURS DU DROIT DES ETRANGERS
1/ Contentieux du travail irrégulier
État du droit jusqu’au 26 janvier 2024 : l’emploi d’un travailleur étranger sans titre expose l’employeur à deux sanctions administratives : « contribution forfaitaire » (art. L. 822-2 : acquittée pour financer la procédure d’éloignement forcé du travailleur) ; « contribution spéciale » (C. trav., art. L. 8253-2 : sanction de l’absence de contribution de l’employeur au service public des travailleurs étrangers animé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration).
Ces sanctions ne poursuivant pas le même but, elles peuvent être cumulées, sans préjudice des sanctions pénales (voir ci-dessous).
Désormais :
Création d’une amende administrative qui reprend la « contribution spéciale » (code du travail, art. L. 8253‑1) et abroge la « contribution forfaitaire ». La sanction pénale (dans le code du travail) est confirmée.
Prononcée par le ministre de l’Intérieur qui prend en compte, pour déterminer son montant, les capacités financières de l’auteur du manquement, le degré d’intentionnalité et le degré de gravité de la négligence commise (au plus 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti soit 20 500 euros, majoré en cas de réitération, 61 500 euros). L’amende est appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers.
Lorsque l’amende est prononcée avec une sanction pénale, le montant global des amendes prononcées ne dépasse pas le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues.
2/ Interdiction judiciaire du territoire
- Personnes visées : l’interdiction du territoire français est prononcée par le juge pénal si un crime ou un délit le prévoit. Désormais : l’interdiction judiciaire du territoire peut par principe être prononcée pour tout délit puni d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à trois ans ou un délit pour lequel la peine d’interdiction du territoire français est prévue par la loi.
- Protection Entre 2003 et 2024 : protection relative (motivation spéciale en fonction des conséquences sur la vie privée et familiale pour cinq catégories de personnes) et protection quasi-absolue (résidence habituelle depuis au plus l’âge de 13 ans, résidence régulière depuis plus de 20 ans, résidence régulière depuis plus de 10 ans et marié depuis au moins 4 ans à un Français sauf polygamie, résidence régulière depuis plus de 10 ans et parent d’enfant français mineur résidant en France sauf polygamies, maladie grave), sauf pour certaines infractions graves (atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, activités terroristes , trafic de fausse monnaie, etc.).
- Désormais : abrogation de la protection relative mais la loi impose à la juridiction de tenir compte de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire, de la nature, de l’ancienneté et de l’intensité de ses liens avec la France ; confirmation de la protection quasi-absolue mais renforcement des levées d’immunité pour des crimes ou délits graves.
2. DROIT APPLICABLE AU SEJOUR DES ETRANGERS
1/ Le Conseil constitutionnel confirme la décision du 13 août 1993 (n° 93-325 DC)
- « Si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Parmi ces droits et libertés figurent notamment la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le droit au respect de la vie privée protégé par l’article 2 de cette déclaration, et le droit de mener une vie familiale normale qui résulte du dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 » (cons. 60)
- « Aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ; les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques (…) ; dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux » (cons. 113)
2/ Modalités d’examen des titres de séjour
- Désormais mais à titre expérimental dans au moins cinq départements et au plus dix départements pour une durée maximale de trois ans : le préfet qui envisage de refuser de délivrer ou de renouveler un titre de séjour doit au préalable examiner tous les motifs susceptibles de fonder la délivrance du titre. À cette occasion, le demandeur transmet l’ensemble des éléments justificatifs. À l’issue de la procédure d’examen, le préfet peut délivrer à l’intéressé, sous réserve de son accord, un titre de séjour différent de celui qui faisait l’objet de sa demande initiale. Si le préfet a opposé moins d’un an auparavant un refus d’admission au séjour examiné selon ces modalités, il déclare irrecevable toute nouvelle demande, sauf élément nouveau postérieure au refus. Le Conseil constitutionnel a imposé au préfet d’informer l’étranger qu’il doit transmettre l’ensemble des éléments justificatifs et estimé que la loi ne pouvait pas restreindre la faculté pour l’étranger débouté de se prévaloir dans l’année qui suit d’éléments nouveaux uniquement liés à la délivrance d’un titre de plein droit (Cons. const., 25 janv. 2024, n° 2023-863 DC, cons. 56 à 72).
3/ Étrangers malades
- Pour des raisons de procédure, le Conseil constitutionnel a invalidé la rédaction de la loi qui ne renvoyait plus à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays de renvoi et subordonnait le maintien en France à « l’absence d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle » appréciée au cas par cas (art. L. 425-9) .
- Rappel de la position de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, gde ch., 13 déc. 2016, n° 41738/10, Paposhvili c/ Belgique, leucémie ayant conduit au décès) : entrent dans le champ de protection de l’article 3 les cas d’éloignement d’un étranger gravement malade qui ne court pas un risque imminent de mourir, à charge pour l’étranger d’établir que l’absence ou le défaut de traitements adéquats dans le pays de renvoi l’exposerait à un risque de « déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie » (§ 183). Les autorités de l’État de renvoi doivent procéder à un contrôle rigoureux du risque et envisager les conséquences prévisibles du renvoi compte tenu de la situation générale du pays d’éloignement en s’assurant que les soins disponibles localement sont suffisants et adéquats et en requérant de l’État de destination des assurances.
4/ Obligations d’intégration
- « L’étranger qui sollicite un document de séjour s’engage, par la souscription d’un contrat d’engagement au respect des principes de la République, à respecter la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République au sens de l’article 2 de la Constitution, l’intégrité territoriale, définie par les frontières nationales, et à ne pas se prévaloir de ses croyances ou de ses convictions pour s’affranchir des règles communes régissant les relations entre les services publics et les particuliers. » (L. 412‑7).
- « Aucun document de séjour ne peut être délivré à un étranger qui refuse de souscrire le contrat d’engagement au respect des principes de la République ou dont le comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations. » (L. 412‑8)
- « Peut ne pas être renouvelé le document de séjour de l’étranger qui n’a pas respecté le contrat d’engagement au respect des principes de la République. Tout document de séjour détenu par un étranger dans une telle situation peut être retiré. » (L. 412‑8)
3. DÉPART FORCE DES ÉTRANGERS
1/ Audience devant le juge judiciaire saisi d’une demande de maintien en zone d’attente.
Désormais, l’audience se tient par principe (et non plus de manière facultative) dans une salle à proximité de la zone d’attente ou par visio-conférence (L. 342-6). Les deux salles d’audience sont alors ouvertes au public et reliées entre elles en direct par un moyen de communication audiovisuelle garantissant la confidentialité et la qualité de la transmission. Le conseil de l’étranger, de même que le représentant de l’administration, peut assister à l’audience dans l’une ou l’autre salle. Le juge peut, de sa propre initiative ou à la demande des parties, suspendre l’audience lorsqu’il constate que la qualité de la retransmission ne permet pas à l’étranger ou à son conseil de présenter ses explications dans des conditions garantissant une bonne administration de la justice. Lorsqu’aucune salle n’a été spécialement aménagée à proximité immédiate ou en cas d’indisponibilité de cette salle, l’audience se tient au siège du tribunal judiciaire dans le ressort duquel se situe la zone d’attente.
2/ Obligation de quitter le territoire
Régime de protection (art. L. 611-3) : la protection était reconnue à dix catégories d’étrangers. Désormais, seul le mineur est protégé mais l’obligation de quitter le territoire est édictée « après vérification du droit au séjour, en tenant notamment compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit. »
Le contentieux de l’obligation de quitter le territoire est désormais inscrit dans un nouveau livre 9 du CESEDA qui détaille toutes les procédures contentieuses dérogatoires devant le juge administratif.
Le régime de l’interdiction administrative de retour qui accompagne toute obligation de quitter le territoire a été modifié à la marge (en gras, les modifications ; le plan de cours avait intégré ces modifications).
| Pouvoir du préfet | Motifs | Effet à compter de l’exécution de l’OQTF | Régime |
| Absence d’interdiction de retour | • Plainte ou témoignage contre une personne accusée de proxénétisme ou de traite, sauf refus d’exécuter une précédente OQTF ou menace à l’ordre public (art. L. 612-9) • « Circonstances humanitaires » (art. L. 612-6, L. 612-7) | Sans objet | Sans objet |
| Pouvoir discrétionnaire | OQTF avec délai de départ spontané (art. L. 612-8) | • Cinq ans au maximum • Abrogation de plein droit en cas de départ volontaire dans les deux mois, sauf « circonstances particulières tenant à la situation et au comportement de l’intéressé » (art. L 613-8) • Prolongation pour deux ans en cas de maintien irrégulier en France ou de retour en violation d’une interdiction de retour (art. L. 612-11) • Durée totale limitée à cinq ans, sauf menace grave pour l’ordre public (art. L. 612-11) | • Information générale sur les effets de la mesure (art. R. 613-6) • Motivation (CE, avis, 12 mars 2012, n° 354165) • Information sur le signalement dans le SIS • Durée modulée en fonction de la durée de présence en France, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France, de mesures passées d’éloignement et de la menace pour l’ordre public (art. L. 612-10) • Possibilité de demander l’abrogation de l’interdiction « à tout moment » si l’étranger réside hors de France, sauf s’il est détenu ou est revenu en France après avoir déféré à une OQTF (art. L. 613-7) • Réexamen de plein droit tous les cinq ans pour apprécier l’évolution de la menace pour l’ordre public, des changements dans la situation personnelle et familiale et les garanties de réinsertion professionnelle ou sociale (art. L. 613‑9) |
| Pouvoir lié | • Aucun délai de départ spontané (art. L. 612-6) • Absence de départ spontané dans les délais volontaires (art. L. 612-7) | • Cinq ans au maximum, dix ans si « menace grave à l’ordre public » • Prolongation pour deux ans en cas de maintien irrégulier en France ou de retour en violation d’une interdiction de retour (art. L. 612-11) • Durée totale limitée à cinq ans, sauf menace grave pour l’ordre public (art. L. 612-11) |
Les délais de recours et de jugement ont été simplifiés (désormais : 3 dispositifs contre 12) et les règles sont désormais fixées par le CESEDA et non plus le CJA)
| Décisions contestées (les cas principaux ont été mentionnés) | Délai de saisine du tribunal administratif | Délai imparti au juge pour statuer | Procédure (art. L. 911-1 et suiv.) avec des éléments communs : demande d’aide juridictionnelle au plus tard lors de l’introduction de la requête (art. L. 911-1) ; conclusions contre les décisions notifiées ensemble dans une même requête ; avis d’audience et jugement notifiés par tous moyens ; appel dans le mois |
| OQTF avec délai de départ volontaire (art. L. 614-1) | Un mois franc suivant la notification de la mesure (art. L. 911-1) | Six mois suivant l’introduction du recours | • Formation collégiale ; rapporteur public, sauf dispense • Fin de l’instruction et date et heure de l’audience fixées par le rapporteur • Mémoire complémentaire déposé au greffe dans les 15 jours sous peine de désistement |
| Assignation à résidence en cours d’instance : quinze jours suivant la notification | • Juge unique (magistrat délégué ou honoraire) ; audience publique ; absence de rapporteur public (art. L. 922-2) • Possibilité de soulever des moyens nouveaux après expiration des délais et des conclusions jusqu’à la fin de l’instruction • Audience dans une salle spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention ou par un moyen de communication audiovisuelle reliant cette salle et le tribunal administratif. À défaut, l’audience se déroule au tribunal administratif ou dans le local à usage juridictionnel judiciaire le plus proche du centre de rétention (art. L. 922-3) | ||
| Rétention en cours d’instance : 144 heures suivant la notification du placement | |||
| OQTF avec assignation à résidence (art. L. 614-2) ou visant un étranger en détention (art. L. 614-3), réadmission avec assignation à résidence (art. L. 623-1), choix du pays de renvoi d’un étranger visé par une interdiction judiciaire du territoire avec assignation à résidence (art. L. 721-5), assignation à résidence de courte durée (art. L. 732-8), transfert d’un demandeur d’asile dans le pays européen compétent (art. L. 572-4), | Sept jours suivant la notification de la mesure (art. L. 921-1) | Quinze jours suivant l’introduction du recours | |
| Transfert d’un demandeur d’asile placé en rétention (art. L. 572-4), OQTF avec rétention administrative (art. L. 614-2 et égal. L. 752-7), réadmission avec rétention (art. L. 623-1), choix du pays de renvoi d’un étranger visé par une interdiction judiciaire du territoire avec rétention (art. L. 721-5) | 48 heures suivant la notification de la mesure (art. 921-2) | 1) 96 heures suivant l’expiration du délai de recours 2) Quinze jours suivant la notification d’une assignation à résidence en cours d’instance (art. L. 921-3) 3) 144 heures suivant la notification d’un placement en rétention administrative en cours d’instance (art. L. 921-4) |
3/ Expulsion
La loi fixe une liste de 9 catégories d’étrangers protégés qui ne peuvent être expulsés que l’administration établit des motifs d’ordre public particulièrement graves (« nécessité impérieuse pour la sûreté de l’État ou la sécurité publique » ; « comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence »). Désormais, les cas de délits ou crimes graves pour lesquels l’étranger ne peut plus bénéficier d’une protection et peut être expulsé pour une « menace grave à l’ordre public » sont étendus.
4/ Assignation à résidence
Délais : l’assignation à résidence est désormais prononcée pour 135 jours et non plus 45 jours (art. L. 732-3).
5/ Rétention administrative
- Délais : les délais sont modifiés
| Placement initial par le préfet | 1re prolongation par le juge judiciaire | 2e prolongation par le juge judiciaire | Durée totale | |
| 1980-1993 | 1 jour | 6 jours | Néant | 7 jours |
| 1993-1998 | 1 jour | 6 jours | 3 jours | 10 jours |
| 1998-2003 | 2 jours | 5 jours | 5 jours | 12 jours |
| 2003-2011 | 2 jours | 15 jours | 15 jours | 32 jours |
| 2011-2016 | 5 jours | 20 jours | 20 jours | 45 jours |
| 2016-2018 | 2 jours | 28 jours | 15 jours | 45 jours |
| 2018-2023 | 2 jours | 28 jours | 30 jours + 30 jours | 90 jours (210 si terrorisme) |
| Réforme du 26 janvier 2024 | 4 jours | 26 jours |
- Mineur accompagné : désormais les mineurs ne peuvent plus être placés en rétention.
- Audiences devant le juge judiciaire (art. L. 743-7) : désormais,comme en matière de zone d’attente, elle se tient par principe dans la salle d’audience attribuée au ministère de la justice spécialement aménagée à proximité immédiate du lieu de rétention, sauf télé-audience ou impossibilité technique.